OLF part à la recherche du jouet non sexiste…
A la Saint-Nicolas et Noël, nous sommes envahi-e-s de pubs et de catalogues, dans lesquels les représentations stéréotypées nous font bondir: les filles au repassage, les garçons au camion de pompiers, les filles à la coiffeuse et les garçons au bricolage. Pourquoi les clichés sont-ils toujours aussi présents ? Analyse… et solutions.
Pour vous, les membres d’OLF-Belgique auraient pu se geler les mollets rue Neuve un samedi après-midi hivernal, déguisées en Barbie. Si elles n’avaient pas craint le gel, la neige et le manque de crédibilité (tutu rose), elles l’auraient FAIT. Elles auraient osé. Il se trouve qu’à temps de travail égal, elles ont choisi de vous présenter un dossier documenté et, elles l’espèrent, un poil corrosif, pour répondre à cette question qui les taraude de manière proportionnelle au temps qui passe avant la Saint- Nicolas : quel est le sexe des jouets ? Alors, entendons-nous. Non, les membres d’OLF-Belgique ne cherchent pas à savoir ce que Ken porte sous son kilt. Ce qui les intéresse, ces féministes consommatrices de cadeaux, ces féministes qui ont une famille (tout arrive !), c’est de réfléchir, avec l’aide d’un psychanalyste spécialiste de l’enfance, à la manière d’utiliser l’argent que vous avez gagné pour acheter des jouets malins. Malins, comme vous allez le découvrir, ne rime pas forcément avec rabat-joie : notre méthode en trois points.
Les jouets sexistes pour les nul-le-s
Gardons l’espoir fou que notre journal n’est pas lu que par des féministes spécialistes des jouets sexistes. Hep! Vous! Halte-là, empêchez votre main de rafler la dernière robe de chichiteuse du magasin et lisez plutôt.
Lors de nos discussions, nous avons longuement débattu. En effet, si la définition du sexisme ne nous a pas posé de problème (ouf!), celle du “jouet sexiste” est beaucoup plus compliquée. Nous avions une hypothèse de départ: en effet, il est prouvé que la construction du genre et de l’identité sexuée se fait dès la naissance – et parfois même avant, si l’on pense à la layette fleurie qu’on tricote pour l’arrivée d’une petite fille. Cette construction, amplement documentée par les études de genre et les études féministes, participe d’une société où les femmes ne sont pas encore à égalité avec les hommes. Étant donné que le jeu et la lecture contribuent au développement de l’enfant et à sa socialisation de manière déterminante, il n’est pas idiot de penser que les jouets et les livres issus de la norme dominante véhiculent des clichés et des stéréotypes qui, dans une certaine mesure, façonnent la vision du monde des enfants : les garçons ont des camions pour être forts, les filles enfilent des perles sur des colliers et se pomponnent pour être belles – et ce n’est pas une caricature. Nous avons poussé les portes de plusieurs grands magasins: les garçons sont dans bien l’action, dans la démonstration de leur force ; les filles sont bien dans le rêve, ou le soin, ou le nettoyage (“fais comme maman”). La frontière entre les rayons est souvent nette et symbolisée par les couleurs bleu/garçons et rose/filles. Vous voulez une voiture électrique, mademoiselle ? Vos papiers, s’il vous plaît.
Le constat est le même en littérature jeunesse: différenciation genrée, domination masculine diffuse et équation “femme égale mère égale chariot de nettoyage” rappelant le monde des adultes. Selon l’étude Attention Album, un enfant a beaucoup plus de chances de lire un ouvrage avec un personnage masculin qu’avec un personnage féminin – de l’ordre de 60% contre 40%. Les filles entretiennent plutôt des liens familiaux, et les garçons, des liens de camaraderie. Quant aux parents, leur image est souvent stéréotypée: les pères ont un travail rémunéré à l’extérieur, les mères ont un tablier (20,8% des mères des albums étudiés…). Les femmes sont encore avant tout des mères et les hommes sont des gagne-pain avant d’être des pères. On pourrait donc dire qu’un jouet ou livre jeunesse est sexiste quand il véhicule des stéréotypes sexistes ou quand son emballage est sexiste, segmente le publiccible auquel le jouet est destiné, et exclut l’autre “groupe” selon les critères de la norme dominante qui définit les rôles sociaux du monde des adultes. Est-ce si simple ?
L’enfant libre et l’enfant pâte à modeler
Au cours de notre enquête, nous avons souvent entendu des phrases comme “nan, mamour, pas ici, c’est pour les garçons, là”, ou encore “ah, non, les journaux intimes pour garçons, pffft, c’est pour les filles!”. D’où notre angoisse pour les générations futures. Certaines d’entre nous ont même le sentiment que la différence jouets filles/jouets garçons est plus prégnante aujourd’hui qu’il y a à peine une génération. Comment les enfants de la Saint-Nicolas 2011 vont-ils s’en sortir ? Est-ce que les garçons privés de journal intime deviendront des brutes ? “Ce n’est pas parce qu’on interdit à un garçon de jouer avec des poupées qu’il va d’office être un macho à l’âge adulte”, tempère Jacques Ravedovitz, psychothérapeute analytique, formateur à la fondation Dolto et accueillant dans un lieu d’accueil enfants-parents type “Maison Verte”. Pas de destin écrit d’avance. “Cependant, il faut faire attention car l’enfant est une pâte à modeler et si les parents limitent l’enfant dans ses jeux, ils limitent son champ de créativité.”
Risque-je d’entraver le développement sexué de Poupinou/ette ?
Mais si, chère lecteur-rice, si votre enfant demande un jeu très stéréotypé ou très sexué ? Vous nous direz, légitimement: “les filles et les garçons sont différents, moi qui ai eu les deux, je peux vous dire qu’ils ne grandissent pas pareil, et pourtant, ô membres d’OLF-Belgique, je suis un-e féministe convaincu-e et je les ai élevés de la même manière”. Entre nous, nous ne savons pas déterminer où se termine l’inné et où commence le culturel. Très tôt, à notre avis : vous pouvez relire l’interview de la neurobiologiste Catherine Vidal dans notre dernier numéro. “Mais ma fille me réclame un kit de maquillage !”. Que faire ? Céder, pour laisser libre cours à la créativité de Poupinette, future make-up artist ? Mais pourquoi ce kit de maquillage est-il rose et au rayon filles ? Les garçons aussi, aiment bien se peindre le visage pour jouer.
L’aspirateur, jouet sexiste?
Les aspirateurs: on n’y échappe pas. Ils sont roses, ils sont sous nos yeux, ils nous sautent à la gorge en vrombissant. Jacques, votre avis ? “Si la maman est la seule à passer l’aspirateur à la maison, il est probable que le petit garçon sera moins tenté de passer l’aspirateur, désirant plus s’identifier à papa… L’aspirateur devient donc un objet sexué. Par contre, si papa et maman passent l’aspirateur, le petit garçon aura envie de faire comme papa et maman et donc s’amuser avec un aspirateur (jouet!). L’ aspirateur perd alors son côté sexué. ” Peut-être, mais l’emballage, lui, l’est, ainsi que le placement du jouet : allez trouver un aspirateur au rayon garçon. L’aspirateur demeure un symbole de la répartition inégale des tâches ménagères entre les hommes et les femmes: entre 19 et 65 ans, les femmes consacrent en moyenne 10 heures de plus par semaine aux tâches ménagères et près de 2 heures en plus aux soins aux enfants et à l’éducation que les hommes.
C’est pas que vous, c’est aussi le marketing
“Si les jouets continuent à promouvoir les inégalités entre les sexes, ce n’est pas parce que les personnes qui conçoivent les jouets et leur marketing sont tous des machos mais bien parce qu’il y a un public qui achète ces jouets”, analyse Jacques. Argh. La culpabilité, là, vous coupe la respiration (car vous avez fini par acheter le kit!). “Ce sont les parents qui poussent les enfants à jouer avec certains jouets et à certains jeux. En fait, si on fout la paix aux enfants, alors ils ne vont pas faire la différence entre les jouets pour filles et pour garçons. Minute! Les parents, okay, mais vous avez vu les catalogues ? “C’est vrai qu’aujourd’hui on est confronté aux jouets sexualisés, aux jouets sexistes et à l’usage sexiste du jouet. Il est très difficile pour les parents de s’en sortir. Tout comme les enfants s’adaptent à ce qu’on demande d’eux, les parents s’adaptent aux pressions sociales et aux attentes imposées sur leurs enfants. Le marketing n’est qu’une pression supplémentaire.”
Les solutions : (1) sortir de la logique de sexualisation, (2) intégrer OLF, (3)…
Cette vision des enfants à qui ont devrait juste “foutre la paix ”, pour reprendre le vocabulaire psy, nous la partageons après notre descente dans des grands magasins de jouets bruxellois. “Il faut comprendre que ce n’est pas le jouet qui est important mais le jeu ! ”, s’emporte Jacques. “Le jouet, in fine, n’est que ce qu’on en fait. Si une petite fille veut absolument une dînette ou un aspirateur ou des chaussures de princesse, il n’y a pas de raison pour lui refuser. L’idée est de ne pas rétrécir le champ de créativité, de laisser les enfants libres d’inventer leurs jeux, de les accompagner en jouant avec eux. Si nous, adultes, sortons de la logique de sexualisation des jouets, alors nous pourrons offrir aux enfants un espace où ils pourront s’épanouir en liberté et en créativité.” Première solution, donc, à décliner: mélanger les jouets des enfants, filles et garçons, dans un endroit mixte; éviter que les listes des cadeaux soient exclusivement inspirées par les catalogues traditionnels et la publicité télévisée… Solution numéro 2, 100% compatible avec la première: devenir membre d’OLF Belgique et soutenir les initiatives belges en faveur de l’éducation non sexiste. Et, in fine, solution numéro 3: acheter des oranges pour toute la famille. A part un animal de compagnie, plus bruyant et plus baveux, on n’a pas trouvé moins sexiste (mais c’est vrai que c’est un peu rabat-joie).
S.P., M.R., A. A.-C. & C.R.
Références: 1. Attention Album ! : programme européen élaboré et coordonné par l’association Du Côté des Filles (www.ducotedesfilles.org), créée en 1994 présidée par Adela Turin «dans le but d’élaborer un programme d’élimination du sexisme dans le matériel éducatif, de promouvoir des représentations anti-sexistes, de produire et diffuser des outils de sensibilisation destinés aux maisons d’édition, aux créatrices et créateurs, aux parents, aux pouvoirs publics». 2. La Direction générale Statistique et Information économique du SPF Économie a réalisé en 2008 une enquête sur l’emploi du temps des belges.